Portrait du mois: Didier Berthod, l'ex-grimpeur d'élite devenu prêtre retrouve les falaises
Le Valaisan Didier Berthod était parmi les meilleurs grimpeurs de fissures au monde. En 2006, il quitte le milieu de l'escalade pour consacrer sa vie à Dieu. Après avoir longtemps délaissé sa première passion, il a repris l’entraînement il y a deux ans, et veut aujourd'hui retrouver un haut niveau.
A 40 ans, Didier Berthod est prêtre dans la paroisse de Collombey-Muraz. Une voie empruntée en 2006, après avoir quitté celle de l'escalade, alors qu'il faisait partie de l'élite mondiale. Si la pratique ne lui a pas manqué durant ces 13 années d'absence du circuit, il a aujourd'hui repris sérieusement l’entraînement: plusieurs heures quatre à cinq fois par semaine, sous la conduite d'un ami qui le coache.
Des tractions sur un seul doigt
Très concrètement, il aimerait retrouver le haut niveau. On l'a dit, le Bramoisien a fait partie des meilleurs grimpeurs au monde. Physiquement les prouesses de tels athlètes sont comparables à des gymnastes de haut niveau. «Au sommet de ma forme, j'étais capable de faire des tractions sur un seul bras, et même sur un seul de mes doigts.»
«Je pouvais faire dix à quinze chutes pas jour, mais ce n'était pas du tout dangereux.» Didier Berthod
Là-dessus s'ajoute une dimension mentale. Didier Berthod n'avait pas d'entraînement spécifique pour se préparer sur ce plan-là. Mais, la pratique à répétition lui a permis de gérer la peur et la sécurité. «Je pouvais faire jusqu'à dix, quinze chutes par jour. Mais ce n'était pas du tout dangereux, parce que même si j'escalade des parois déversantes ou même horizontales, je suis assuré grâce à des cordes. Ce n'est pas de la roulette russe.»
Interpellé par les fissures
La spécialité de Didier Berthod, c’est l’escalade de fissures. Didier Berthod pratique pourtant d’abord l’escalade libre, qu’il découvre à 12 ans. Il atteint rapidement un très bon niveau, et fait même partie de l’équipe nationale durant une année. Pourtant, c’est bien l’escalade de fissures qui l’interpelle. «Esthétiquement, c'est extraordinaire. Au niveau de la démarche éthique, ça rajoute une dimension supplémentaire, parce que les fissures ne sont pas protégées par ce qu'on appelle des spits, ces mécanismes que l'on fixe dans la roche avec des perceuses pour rendre l'itinéraire plus sûr.»
«Les fissures ne sont pas équipées: il faut mettre soi-même des protections, cela ajoute une dimension aventureuse.» Didier Berthod
Et le religieux de poursuivre: «Pour les fissures, il faut mettre soi-même des protections, qu'on appelle des friends ou des coinceurs. Ce sont des espèces de mécanismes très ingénieux, très solides aussi. S'ils sont bien mis, ça peut tenir une tonne et demie. Mais, il n'empêche que c'est toi-même qui les met pendant l'ascension, de telle sorte que ça ajoute à l'activité une dimension beaucoup plus aventureuse.» Et puis, Didier Berthod découvre les fissures qui se trouvent aux Etats-Unis, dans la vallée du Yosemite et dans les déserts de l'Arizona ou de l'Utah. «Ces photos de fissures m'ont fait rêver. D'ailleurs mon premier voyage à l'étranger, à 21 ans, je l'ai fait aux Etats-Unis pour escalader des fissures.»
Il a fait rêver des générations de grimpeurs
La plupart des grimpeurs se souviennent d’ailleurs de son ascension de Greenspit en Italie, considérée comme l'une des plus difficiles au monde. Cette voie de 12 mètres de long se situe au-dessus du village de Rosone, dans la vallée d’Orco en Italie. Elle doit son nom aux spits verts placés par Roberto Perucca, lorsqu’il l’avait escaladée à moitié, au milieu des années 1980. En août 2003, Didier Berthod a retiré ces spits et monté cette voie en escalade libre. Il l’a définie comme «la fissure la plus difficile d'Europe» et lui a attribué une cotation 8b+, soit un niveau de difficulté très élevé en escalade.
En 2006, le film First Ascent suit les efforts du grimpeur de Bramois pour faire la première ascension de Cobra Crack, une fissure à Squamish, en Colombie Britannique au Canada. Ce film montre aussi une partie de ses escalades en Europe et son style de vie simple. Les images de Didier Berthod sont devenues légendaires: elles ont fait rêver des générations de grimpeurs.
Retour après 13 ans d'absence
En 2006, à seulement 25 ans, Didier Berthod met un terme à sa carrière sportive. Pas de coach, trop d’entraînements et plus de progression : l’escalade ne suffit plus à le combler. Après sa blessure -que l'on voit dans First Ascent -, il a tenté de devenir guide, puis il rejoint finalement la communauté religieuse Eucharistein, et est ordonné prêtre en 2018. Aujourd’hui, il a renoué avec le milieu de l’escalade. «En quittant ce milieu, je quittais ma famille de manière très abrupte. J'ai eu envie de me réconcilier avec elle. J'ai beaucoup apporté à de nombreux grimpeurs et beaucoup de personnes sont devenues grimpeurs en suivant mon exemple. Et même si je fais de l'escalade parce que ça m'apporte beaucoup de plaisir, je le fais aussi parce que je me sens responsable de cette famille, de ce milieu. Et je veux redonner le meilleur de moi-même à ce milieu.»
Et son retour est plutôt prometteur : l’été dernier il a ouvert trois voies avec plusieurs amis, entre la cabane d’Orny et les parois du Petit Clocher. Dont une qu’il a baptisée "La promesse de l’aube", à l’image de sa démarche aujourd’hui.
Au moment de son retrait du milieu de l'escalade en 2006, Didier Bertbod traversait aussi une épreuve qu'il ne cache plus aujourd'hui: l'arrivée surprise d'un bébé. C'est aujourd'hui une jeune fille de 15 ans, qui habite au Canada. Elle est aussi une grimpeuse très talentueuse, selon lui. Et aujourd'hui, il n'a pas de plus grand désir que de pouvoir se réconcilier avec sa maman au Canada, et pouvoir tisser un lien avec leur fille. C'est son projet le plus important, et peut-être le plus difficile.