Il y a 13 ans, le destin de Kevin Lötscher basculait : "Le 14 mai est mon 2ème anniversaire"
Kevin Lötscher avait 23 ans le 14 mai 2011. Véritable pépite du hockey suisse, il était promis à une grande carrière avant d'être renversé par une conductrice alcoolisée. Treize ans plus tard, le Haut-Valaisan raconte comment il s'est relevé de cet accident qui a bouleversé sa vie.
"Je vivais mon rêve quand soudain, ma vie a changé." En quelques mots, Kevin Lötscher résume son histoire. Celle d'un hockeyeur pétri de talent. D'un attaquant redoutable. Idole des fans du HC Bienne avant d'être engagé par le grand CP Berne, le Haut-Valaisan avait un avenir radieux devant lui. Il avait 23 ans et son nom se trouvait déjà sur le bureau de plusieurs recruteurs en NHL. Il venait de disputer son premier championnat du Monde avec l'équipe de Suisse et s'était même payé le luxe de claquer un doublé face aux Etats-Unis. Le match le plus important et le plus difficile de son existence était pourtant devant lui. Il allait commencer au petit matin du 14 mai 2011. Cette fois, l'enjeu ne serait ni des points, ni un éventuel trophée. Il n'allait pas se battre pour marquer ou faire marquer. Il allait se battre pour sa vie. Pour sa survie.
De la fête au cauchemar
Tout juste rentré du Mondial en Slovaquie, Kevin Lötscher profite de quelques jours pour se ressourcer auprès des siens. "Mon père m'a dit à quel point il était fier de moi et que j'avais mérité de sortir fêter ma réussite et m'amuser." Le jeune hockeyeur rejoint alors ses quatre meilleurs potes avec qui il forme la bande autoproclamée "les Fantastic Five". Sur un nuage, il est bien décidé à crier son bonheur au monde entier. Alors que ses compères sont rentrés chez eux, il retrouve d'autres amis avec lesquels il décide de monter à Crans-Montana pour y prolonger la nuit. Il n'y arrivera pas. Peu avant 4h30, alors qu'il marche le long de la route à proximité du giratoire menant à l'hôpital de Sierre, il est percuté de derrière par une BMW X6 roulant à 85 km/h. Un véhicule dont il venait de sortir après s'être rendu compte que la conductrice n'était pas en état de rouler. Fauché par cette jeune femme de 19 ans présentant un taux d'alcool dans le sang de 1,6 pour mille, il est projeté à trente mètres de l'impact. "Je n'ai aucun souvenir de cette soirée-là", avoue-t-il aujourd'hui.
Kevin Lötscher passera ensuite dix jours dans le coma. D'abord hospitalisé d'urgence à Sion, il est très vite transféré à l'hôpital de l'Île à Berne avant de rejoindre une clinique spécialisée dans les lésions cérébrales. "Je me rappelle que lorsque je me suis réveillé du coma, j'avais l'impression de ne pas être complètement là. Rejouer au hockey n'était pas une question à ce moment", raconte-t-il. "Un jour pourtant, les médecins sont venus me voir et ils m'ont dit qu'au vu de mes progrès qui étaient constants, ce serait peut-être possible. Avoir entendu les mots "hockey" et "possible" a fait office d'électrochoc dans mon esprit. À partir de là, j'étais décidé à tout faire pour retrouver mon ancienne vie."
L'évidence puis le vide
Entouré de nombreux spécialistes, soutenu par le directeur sportif du CP Berne Sven Leuenberger, le Haut-Valaisan se bat pour renouer avec la glace. ll ne portera finalement jamais le maillot du club de la capitale. Prêté à Sierre lors de la saison 2012/2013, il a quand même le droit de soulever le trophée de champion de Suisse remporté par les Ours cette année-là. L'hiver suivant, il tente de forcer son destin en retournant à Bienne, club de ses plus belles performances dans ce qu'il appelle lui-même "sa vie d'avant". À nouveau prêté en Ligue B, à Ajoie cette fois-ci, il se rend alors à l'évidence : il ne retrouvera pas le haut niveau. Le 11 février 2014, il annonce mettre un terme à sa carrière. "Même si cela n'a pas marché, l'espoir de rejouer au hockey m'a donné un but tout au long de ma convalescence. Une fois que j'ai raccroché les patins, j'ai ressenti un vide immense. J'avais perdu tout ce qui me faisait vibrer. Retrouver un sens à ma vie a été un gros challenge."
L'an dernier, douze ans après l'accident, Kevin Lötscher a décidé d'écrire un livre pour raconter son histoire. D'abord uniquement en version allemande, son ouvrage intitulé "Eiszeit, der Spielmacher bist du" vient tout juste d'être traduit en français. Tout au long des 160 pages, il se confie avec une sincérité très touchante, n'occultant aucune phase de son processus de reconstruction. "Écrire ce livre a été une forme de thérapie pour moi. À la base, c'est un projet très égoïste. J'avais simplement la volonté de poser sur papier tout mon ressenti. Cela m'a permis de véritablement lâcher prise sur ce que j'ai vécu. Maintenant, si le partage de mon expérience peut aider d'autres personnes, j'en suis ravi."
Difficile de se faire aider pour sortir de la dépression
Parmi les différents thèmes abordés dans Glace Noire – le match de ta vie (le titre de la version française du livre), l'ex-hockeyeur parle ouvertement de la dépression qu'il a connu à une certaine période. "J'ai eu besoin d'un certain temps pour m'avouer à moi-même que j'avais besoin de consulter un spécialiste. Je ne pouvais plus continuer comme ça. Mes proches m'ont répété à plusieurs reprises qu'il fallait que j'aille parler à quelqu'un mais j'étais trop fier pour les écouter." Le déclic est finalement venu lors d'un voyage en solitaire en Afrique du Sud. "J'ai alors compris que la vie avait encore quelque chose à m'offrir, à condition que je retrouve la joie qui m'avait quitté. Pour y parvenir, je n'avais pas le choix : je devais accepter de me faire aider."
L'un des moments clés, sinon le moment le plus important, de la guérison mentale de Kevin Lötscher est intervenu durant l'été 2013. Plus de deux ans après l'accident, il a alors décidé d'inviter chez lui la conductrice fautive.
Signe de la relation positive qu'entretiennent Kevin Lötscher et la conductrice, celle-ci fait partie des nombreuses personnes ayant accepté de témoigner dans le livre. Elle se confie ainsi pour la première fois sur son ressenti par rapport à l'accident. Aujourd'hui reconstruit, l'ex-hockeyeur l'affirme : la date du 14 mai n'est pas synonyme de souvenir noir pour lui. "Au contraire, je dirais que c'est mon 2ème anniversaire. D'ailleurs, il arrive que je reçoive des cadeaux ce jour-là", sourit celui qui n'hésite pas à relever son t-shirt pour nous présenter le tatouage qui orne sa poitrine. Juste sous le cœur, cette date a été ancrée dans sa chair. "Je pourrais très bien m'apitoyer sur mon sort en disant que c'est un jour de merde, mais je n'ai pas eu d'autres choix que d'accepter ce qui m'est arrivé. Cette date-là m'accompagnera quoiqu'il arrive durant toute ma vie. L'avoir tatouée sur moi me permet de la voir d'un œil positif."
Prendre soin de soi pour le bien de tous
Aujourd'hui, Kevin Lötscher se dit épanoui dans sa nouvelle vie. Après s'être reconverti en tant que jardinier puis vendeur dans un magasin spécialisé en hockey, il est devenu entrepreneur et conférencier. En 2019, il a fondé sa propre société : Sorgha. "Cela veut dire prendre soin de soi en allemand. L'idée m'est venue en discutant avec un ami qui me demandait ce que je voulais de la vie. Je lui ai alors dit que je souhaitais que les gens prennent soin d'eux. Si j'avais un seul message à faire passer, c'est qu'il faut que chacun se considère lui-même comme la priorité. Il n'y a que si je suis bien avec moi-même que je pourrais faire rayonner les autres."
L'ancien hockeyeur souhaite donc partager son expérience au plus grand nombre. Il donne annuellement entre 30 et 35 conférences aux quatre coins du pays. "Mais attention, je ne cherche pas à montrer l'exemple à qui que ce soit. Chacun suit son propre chemin. J'explique simplement lequel a été le mien et ce qu'il m'a apporté". Lorsqu'on l'interroge justement sur son propre chemin et le regard qu'il dresse sur celui-ci, Kevin Lötscher assure ne ressentir aucun regret. "J'aurais adoré jouer au hockey plus longtemps, disputer plusieurs championnats du Monde ou gagner des trophées, c'est clair. Mais j'estime malgré tout que la vie ne m'a rien pris. Elle m'a au contraire donné l'opportunité de faire quelque chose d'autre. Quelque chose qui fait aujourd'hui de moi quelqu'un de plus utile pour la société que celui que j'étais dans ma vie d'avant."
Vernissage du livre le 21 mai à Sierre
Aujourd'hui résident de Morat, Kevin Lötscher rentre de temps en temps en Valais en compagnie de ses deux fils Jonah et Nino. Souvent, il rejoint ce qu'il appelle son "petit coin de paradis", le chalet familial situé sur les hauteurs de Pletschen. Le mardi 21 mai prochain, il fera halte dans la librairie Payot de Sierre entre 17h00 et 18h30 à l'occasion d'un vernissage de son livre Glace Noire - le match de ta vie.