Navalny en prison pour près de trois ans
Navalny envoyé en prison pour près de trois ans
Un tribunal moscovite a ordonné mardi l'emprisonnement pour près de trois ans de l'opposant Alexeï Navalny, un dossier qui nourrit les tensions avec l'Occident sur fond de répression d'un mouvement naissant de contestation.
Washington, Paris, Berlin et Londres ont appelé dans la foulée à la libération immédiate de l'opposant, l'affaire étant largement considérée comme politique. Pour le Conseil de l'Europe, la condamnation d'Alexeï Navalny "défie toute crédibilité".
Elle est "contraire aux obligations internationales de la Russie en matière de droits de l'homme", a estimé dans un communiqué la commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatovic.
La juge Natalia Repnikova a estimé que celui qui s'est imposé en dix ans comme le principal détracteur de Vladimir Poutine avait violé son contrôle judiciaire et devait en conséquence purger une peine de prison avec sursis datant de 2014.
Il devra effectuer une peine d'emprisonnement de trois ans et demi, moins les mois passés assigné à résidence l'année de cette condamnation.
Son avocate, Olga Mikhaïlova, a indiqué que son client devrait effectuer "environ" deux ans et huit mois de prison, et qu'il fera appel. Il s'agit de la première sentence longue pour M. Navalny, qui s'est spécialisé dans les enquêtes sur la corruption des élites.
Dès l'annonce de cette condamnation, son organisation, le Fonds de lutte contre la corruption, a appelé à une manifestation immédiate juste au pied du Kremlin. "Nous nous rassemblons dans le centre de Moscou immédiatement, on vous attend Place du Manège", a-t-elle proclamé sur Twitter.
Des dizaines de policiers casqués ont été rapidement déployés sur les lieux, selon un journaliste de l'AFP. Les stations de métro environnantes ont été fermées dans la foulée, selon les agences russes qui font état de premières interpellations.
L'opposant de 44 ans avait lui écouté le jugement, mains dans les poches, debout dans la cage de verre réservée aux prévenus dans la salle d'audience. Il a adressé des signes de coeur à son épouse Ioulia.
Avant le jugement, il avait dénoncé une affaire destinée à museler ceux qui s'opposent à Vladimir Poutine.
"On en emprisonne un pour faire peur à des millions" de gens, a proclamé l'opposant, incarcéré depuis le 17 janvier.
Il a aussi dénoncé les milliers d'arrestations lors de manifestations de soutien ces deux derniers week-ends, les rassemblements d'opposition les plus importants depuis des années.
"Vous ne pourrez pas emprisonner tout le pays! ", a-t-il martelé.
Alexeï Navalny a aussi répété que M. Poutine était celui qui avait ordonné au FSB, les services de sécurité, de le tuer en l'empoisonnant en août à l'aide d'un agent neurotoxique.
Il "entrera dans l'histoire comme l'Empoisonneur de slips", a-t-il lâché. En décembre, M. Navalny avait affirmé dans une vidéo avoir piégé au téléphone un agent du FSB qui révélait que le poison avait été appliqué sur un de ses sous-vêtements dans son hôtel en Sibérie.
Les autorités ont rejeté toutes ces accusations. Des laboratoires européens ont eux confirmé l'usage d'un poison de type Novitchok, substance développée à l'époque soviétique à des fins militaires.
L'affaire examinée mardi concernait une plainte des services pénitentiaires qui accusaient M. Navalny de ne pas avoir respecté son contrôle judiciaire dans le cadre de sa condamnation avec sursis.
M. Navalny a dit avoir informé les autorités de sa convalescence en Allemagne. Il a été arrêté dès son retour en Russie mi-janvier.
Il avait été condamné en 2014 pour des détournements dans la filiale russe du groupe français Yves Rocher, via une entreprise de transport qu'il détenait avec son frère. La Cour européenne des droits de l'Homme avait dénoncé ce jugement.
La tentative d'assassinat puis son interpellation ont déclenché une volée de critiques occidentales et le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, est attendu vendredi à Moscou où il a demandé à voir l'opposant.
Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a estimé mardi que ce serait "une bêtise" de lier les relations entre UE-Russie au sort de M. Navalny.
Plus de 300 personnes demandant sa libération ont en outre été arrêtées mardi dans la journée, selon l'ONG spécialisée OVD-Info.
M. Navalny est la cible de multiples procédures. Vendredi, il comparaîtra pour "diffamation" envers un ancien combattant. Il est aussi accusé d'escroquerie pour avoir, selon les autorités, détourné des dons à son organisation.
Nombre de ses alliés et collaborateurs ont eux été assignés à résidence, incarcérés ou poursuivis.
L'opposant a néanmoins réussi à mobiliser des dizaines de milliers de partisans les 23 et 31 janvier dans une centaine de villes russes.
Cette contestation d'une ampleur inédite depuis des années intervient à l'approche de législatives à l'automne et sur fond d'impopularité du parti du pouvoir.
Elle est aussi alimentées par la diffusion d'une enquête de M. Navalny accusant Vladimir Poutine d'être le bénéficiaire d'un "palais" monumental, vue plus de 100 millions de fois sur YouTube.